Marie-Sophie témoigne : longue errance de diagnostic pour une myosite de chevauchement (scléromyosite)

 

Un autre exemple d’errance diagnostique. Celle concernant la maladie de Marie-Sophie (la scléromyosite) a duré douze ans.

Son témoignage est édifiant. Il nous interpelle car les symptômes qu’elle a supporté tant d’années n’ont pas su être identifiés. Quand certaines personnes passent voir leur médecin trois ou quatre fois par mois sans raison réelle, juste pour apaiser leur angoisse, il en existe d’autres qui ne s’écoutent pas, qui haussent les épaules en se disant « ça ira mieux demain ». Il y a un juste équilibre à trouver entre ces deux comportements. Nul doute que la lecture de ce nouveau témoignage aidera beaucoup de personnes en souffrance.

Félicitations à Marie-Sophie qui a su sublimer sa maladie en réalisant son rêve !

 

 

 « 2000-2012 : douze ans de cécité.

Comme beaucoup de malades, il m’a fallu plusieurs années pour découvrir ma maladie.

Je n’ai d’abord pas su analyser les symptômes.

J’avais le syndrome de Raynaud aux doigts et aux pieds depuis la fin de l’adolescence. J’avais toujours froid et fréquemment des crises de froid : j’étais glacée d’un seul coup et claquais des dents.

Tout en transpirant beaucoup, particulièrement la nuit.

J’étais très fatiguée tout le temps mais je l’attribuais à mon hypothyroïdite d’Hashimoto, une maladie auto-immune qui détruit la glande thyroïde. J’avais un boulot à plein temps à Paris et deux enfants, de quoi être crevée.

Puis j’ai connu des tas de problèmes les uns à la suite des autres. Hernies discale et sciatique, accident ischémique temporaire, fausse couche inexpliquée au quatrième mois.

A cette période, (j’avais autour de 30 ans), est apparu le symptôme qui aurait dû m’alarmer mais je ne l’ai pas compris. Pour me rendre au travail, je devais marcher quinze minutes jusqu’au métro, une rue qui montait en une pente douce. Au bout de 50 à 100 mètres, mes jambes devenaient extrêmement difficiles à faire avancer. Il me fallait faire des efforts énormes, comme si elles étaient liées au sol par des élastiques. C’était très pénible. Je ne comprenais pas. Mais une fois assise dans le métro, puis au travail, je n’y pensais plus. Jusqu’au retour. Et pareil, une fois à la maison, je n’y pensais plus.

Ça a été le premier signe musculaire. Mais l’idée ne m’a jamais traversé l’esprit que je pouvais avoir une maladie des muscles. Je n’imaginais pas qu’on puisse attraper une myopathie, pour moi c’était génétique. J’avais toujours été sportive. Je n’ai bien sûr pas consulté.

Puis j’ai commencé à maigrir et à avoir de fortes brûlures à l’œsophage. Je m’autodigérais et je l’attribuais au stress professionnel. Mon docteur m’a prescrit du Gaviscon et de l’Inexium.

J’étais épuisée, la libido en berne. Parfois les caresses de mon homme quand il me prenait dans ses bras étaient douloureuses, j’avais des mouvements de recul et il les interprétait bien sûr comme de la froideur. Je n’aimais plus que l’on me touche, mes bras me faisaient mal.

Un matin, couchée dans mon lit, je n’ai pas pu relever la tête. J’ai dû rouler sur le côté pour pouvoir me lever. Je me souviens avoir pleuré en me disant « juste vivre est trop fatigant pour moi ! »

Mais je viens d’une famille où on ne s’écoute pas. En dessous de 39° de fièvre, ma mère nous envoyait à la l’école et trouvait que c’était de la comédie. Et j’ai une grande force mentale. J’étais toujours speed pour concilier le boulot et les enfants, dont l’une en bas âge. Quand je voyais tout de ce que ma mère, avec vingt ans de plus, parvenait à faire, je ne pouvais pas en faire moins. Le soir, je m’endormais à peine à l’horizontale.

Un jour nous avons fait du rafting en famille. Tombée au fond du canot après qu’on ait percuté un rocher, je n’ai pas pu me relever. Mais on avait tous le fou rire et j’ai cru que la faiblesse de mes abdos venait de là. On m’a aidée à me redresser et on a continué à pagayer, je n’y ai plus pensé.

Mais de plus en plus souvent, ma fatigue physique provoquait des crises de nerfs. Il me fallait mettre toute ma force mentale au service de mon corps et parfois quand j’avais trop de trucs à gérer en même temps et de tension nerveuse, je craquais. Et je culpabilisais.

Les médecins, mon généraliste qui me suivait pour Hashimoto et ma gynéco, n’ont jamais associé tous ces signes. Moi non plus.

A 37 ans, j’ai été à nouveau enceinte. Placenta previa, naissance prématurée de deux mois.

J’étais épuisée, tellement épuisée, mais j’allaitais donc je pensais que c’était pour ça.

Un jour, je m’apprêtais à monter l’escalier en courant les marches deux par deux mais ma jambe n’a passé que la première marche. J’ai manqué de tomber, ça nous a fait rire, c’était pendant une fête, on avait un peu bu. N’empêche que je me suis dit « mince, ma dernière grossesse m’a vraiment crevée, va falloir que je me remuscle ».

J’ai voulu retourner à la piscine pour me remettre en condition. J’ai failli me noyer au milieu de la ligne d’eau, je n’avançais pas, mes bras étaient trop faibles. Je suis sortie, vaguement nauséeuse. Dans la cabine, impossible d’ôter le haut du maillot qu’il fallait faire passer par-dessus la tête. Je suis restée longtemps assise à me geler, sans la force de bouger. Rentrée chez moi comme un zombie, je me suis affalée sur le canapé et j’ai cru que je faisais un malaise d’hypoglycémie.

Sur conseil, je suis allée voir le médecin chinois le plus réputé de Paris, un as qui coûtait un bras mais qui avait guéri à peu près tout le monde d’à peu près tout. A reculons parce que je ne crois pas du tout en tout ce qui est médecine alternative homéopathie tisanes huiles essentielles et magnétiseurs – mais mon manque de libido commençait à avoir des répercussions sur mon couple, alors je voulais donner un gage de bonne volonté à mon homme. Le praticien m’a fait revenir à de multiples reprises. Il a fini par ne me faire payer qu’une séance sur deux car il ne trouvait pas l’origine de ma faiblesse/froideur/fatigue/perte de désir. Il ne me croyait pas quand je lui disais que je ne prenais rien pour dormir.

J’ai déménagé pour la province, pour une vie saine, au grand air, faite de randonnées en montagne, d’escalade et de cueillettes de champignons.

J’ai troqué la voiture pour un vélo avec siège enfant.
Très vite après, je suis tombée plusieurs fois « sans raison » : par exemple, à l’arrêt à un feu rouge, j’ai été déséquilibrée par mon bébé qui avait fait un mouvement sur son siège. Mes bras n’ont pas pu maintenir le vélo à la verticale et nous nous sommes retrouvées par terre. Un peu étrange pour une ancienne lanceuse de poids…

Six mois après, on me diagnostiquait par hasard une polymyosite.

2012-2015 : Une nouvelle vie avec la maladie.

Je suis allée voir mon généraliste en juin 2012 parce que j’avais des petites douleurs dans la poitrine, de plus en plus fréquentes, puis quotidiennes, puis plusieurs fois par jour. La prise de sang a révélé des CPK à 2000.

A partir de là, tout a été vite. Prise en charge à l’hôpital en immunologie, méthothrexate et cortisone à haute dose. J’ai été menée par la main par une équipe en or d’examen en examen.

Puis un cycle de poussées et rémissions. Deux ou trois rechutes par an, de deux à trois mois. Avec grande fatigue, conscience dès le réveil que mes bras étaient lourds et épuisés, difficulté à me laver les cheveux, à monter un escalier, à faire rentrer les jambes dans la voiture.

Les premiers mois qui ont suivi le diagnostic, je n’ai pas réalisé. J’ai été très intéressée par le côté médical de l’aventure, très curieuse de comprendre. J’ai compulsé toute la littérature scientifique que je trouvais au sujet des myosites. Mon moral était bon.

En septembre, j’ai commencé à déprimer. Peut-être quand j’ai réalisé que j’allais devoir revoir mes ambitions à la baisse, en tous cas que je n’allais pas pouvoir vivre la vie que je m’étais imaginée. Fini les rêves de rénovation d’une ferme et d’une reconversion dans l’horticulture. Fini les randonnées et le handball. Et fini le jardinage.

En décembre, j’étais au ras des pâquerettes. Et là, touchant le fond, je me suis dit qu’il fallait que je me reprenne et que je réalise mes rêves de gosse, que c’était maintenant ou jamais. Vu que je ne savais pas comment je serais dans cinq ans, il ne fallait plus attendre.

J’avais 40 ans. J’avais toujours voulu avoir un groupe de rock. Je suis allée m’acheter une basse et un ampli. J’ai fait insonoriser ma cave. J’ai rencontré un guitariste qui m’a appris les bases. Il connaissait un batteur. J’ai travaillé comme une bête. J’ai produit plein d’hormones de bonheur à chaque répétition. J’ai mis ma maladie de côté. Six mois après, on faisait notre premier concert. Il y avait 300 personnes, c’était le plus beau jour de ma vie, j’étais une punk rockeuse en cuir qui faisait trembler les murs avec son instrument et je n’étais pas une myopathe.

Il m’arrive de penser que sans la maladie, je n’aurais jamais vécu ce moment. On a tous des rêves, mais on est tous pris par le quotidien et on les reporte. On attend toujours les conditions idéales. Qui n’arriveront peut-être jamais. L’ultimatum posé par la polymyosite m’a permis de me révéler. Mon nouveau moi qui fait de la musique me plait bien.

Poser le diagnostic m’a permis de comprendre beaucoup de traits de mon caractère, mon impatience dans certaines situations, mon stress. Je peux désormais éviter de péter les plombs d’épuisement. Je vais me coucher dès que je sens que je ne peux plus, je m’y sens autorisée. Et mon entourage n’est pas surpris. Ça peut être au milieu du repas. Il m’arrive d’être trop fatiguée pour pouvoir simplement rester assise. Maintenant qu’on sait, on peut mieux gérer.

 

2016 : Surprise ! Ce n’est pas qu’une polymyosite !

Les enfants savent que j’ai une maladie qui fait que je n’ai pas de force. Depuis un an et demi, je passe quatre jours par mois à l’hôpital pour des immunoglobulines qui ont changé ma vie. Je n’attrape plus toutes les maladies qui trainent. Les poussées s’espacent.

 J’ai obtenu le statut de travailleur handicapé. Pour me protéger à cause de mes nombreuses absences, on ne sait jamais, si un jour un nouveau patron moins bienveillant était nommé… Mais aussi parce que ma DRH assure et qu’elle se mettra en quatre pour moi si un jour il est nécessaire de modifier mon poste ou mes attributions. Je le vis très bien, je pense que je ne suis pas un boulet pour ma boite et nous sommes toutes les deux gagnantes. Je suis la manager d’une équipe d’environ 15 personnes, qui sont toutes derrière moi, me soutiennent et prennent bien le relais lors de mes absences.

La polymyosite se fait presque oublier, ce n’est qu’un bruit de fond permanent dans mon cerveau. C’est mon œsophage qui me torture. Mon RGO ne s’est pas calmé depuis des années, je dors quasi assise, réveillée en sursaut par les brûlures. Je carbure à l’Inexium à dose maximale et au gaviscon, on m’a opérée pour me refabriquer un sphincter avec un bout d’estomac, mais rien n’y fait. Manger n’est pas toujours évident. Parfois la nourriture met un temps infini à atteindre l’estomac, parfois l’aliment qui passait bien la veille me fait l’effet de l’acide, souvent je suis rassasiée au bout de trois bouchées…

J’en reparle lors d’une hospitalisation, et cette fois, ça fait réagir un des médecins. Il consulte mon dossier, me réexamine, évoque mon Raynaud, remarque que j’ai quelques télangiectasies sur le torse. Et note que ma mère a une sclérodermie. Tout cela lui fait penser que je pourrais avoir une sclérodermie aussi, une belle petite cochonnerie qui attaque les mains, les pieds, le visage, plein d’organes, et qui a parfois une composante musculaire… Et c’est reparti pour une batterie de tests.

Aujourd’hui, la scléromyosite est confirmée. J’ai une chambre d’implantation au-dessus de la clavicule qui rend les transfusions d’immunoglobulines très faciles. Je ne suis pas superman mais je fais tout ce que fait une femme de mon âge, sauf du sport. Je fais de la kiné mais j’avoue que rien que d’y penser, je suis crevée.

Je ne serai jamais agricultrice bio, avec mes chèvres et mon potager. Mais j’ai découvert un nouveau pan de ma personnalité et un nouveau loisir qui m’offre des perspectives joyeuses.

Le moral est essentiel dans ces maladies qui ne s’arrêtent jamais. Je souhaite à tous les malades de trouver le ressort pour réaliser leur rêve de gosse.

 

Marie-Sophie

43 ans

Strasbourg

 

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